Elle s’était assise discrètement, à l’écart, entre deux rayons. Une main sur la poussette, l’autre tenant son bébé. Il pleurait. Elle l’a pris contre elle, a dégrafé sa chemise, et l’a nourri. Simplement. Naturellement. Sans chercher à se faire remarquer.
Mais quelqu’un l’a vue. Quelqu’un a pris une photo. En quelques heures, l’image s’est retrouvée sur les réseaux sociaux, accompagnée d’une question devenue banale mais toujours brûlante :
« Est-il approprié d’allaiter en public ? »
Les réactions ne se sont pas fait attendre.
« Bravo à cette mère ! », ont dit certains.
« Tellement beau, tellement humain. »
Mais d’autres ont crié au scandale :
« Elle aurait pu se couvrir. »
« Ce n’est pas un endroit pour ça. »
« Il y a des enfants qui regardent. »
Une fois encore, un acte fondamental — nourrir un enfant — est devenu objet de débat public.
La maternité célébrée… tant qu’elle reste silencieuse
Nos sociétés modernes encensent la maternité. On la valorise dans les discours, les campagnes de santé, les programmes politiques. L’allaitement est encouragé par les médecins, recommandé par l’OMS, promu comme un acte naturel et bénéfique.
Mais dans les faits, une mère ne peut allaiter sans subir le poids du regard des autres. Il y aurait des « endroits faits pour ça ». Il faudrait être « discrète ». Il ne faudrait pas « choquer ».
Or un nourrisson ne connaît ni la pudeur ni l’horaire. Il pleure quand il a faim, et sa mère, simplement, répond à ce besoin.
La double injonction : sois parfaite, mais invisible
La mère de la photo n’a pas voulu provoquer. Elle ne revendiquait rien. Elle ne faisait que ce qu’elle fait dix fois par jour : apaiser, nourrir, aimer.
Mais dans l’espace public, ce geste banal devient soudainement transgressif.
Pourquoi ? Parce que le sein féminin dérange lorsqu’il n’est pas sexualisé. Parce qu’un corps de femme utilisé pour nourrir, et non pour plaire, bouscule les normes. Parce que, même en 2025, une femme libre dans son rôle de mère semble encore trop dérangeante.
L’hypocrisie face au corps des femmes
On tolère, voire on célèbre, la nudité dans la publicité, au cinéma, sur Instagram. Des corps féminins filtrés, exposés, esthétiques, façonnés pour être regardés.
Mais un sein qui nourrit ? Non. Là, on parle de « gêne ». On appelle à la pudeur. On demande à ce qu’elle « fasse ça ailleurs ».
Cette incohérence en dit long : le problème n’est pas le corps nu, c’est le corps utile. Celui qui vit, qui soigne, qui donne sans mise en scène.

Une image virale, mais une réalité quotidienne
La photo de cette mère dans le supermarché n’a rien de rare. Elle représente des milliers de femmes, chaque jour, confrontées à cette même tension entre leur rôle et les attentes extérieures.
Elles veulent faire au mieux. Elles veulent bien faire. Et pourtant, elles sont jugées à chaque coin de rue, à chaque geste mal perçu.
Ce n’est pas l’allaitement qui est choquant. C’est la manière dont on choisit de le regarder.
Sa réponse : simple, forte, incontestable
Lorsque cette femme a été contactée par un journaliste, elle n’a pas cherché à polémiquer. Elle a simplement dit :
« Mon bébé avait faim. Je l’ai nourri. Je ne me suis pas posé de questions. Et je ne pense pas devoir m’en excuser. »
Elle n’a ni crié, ni débattu. Elle a juste rappelé une vérité qu’on oublie trop souvent : l’amour d’une mère ne s’interrompt pas selon le lieu, ni selon les règles implicites de la bienséance.
Laisser les mères vivre pleinement
Allaiter, ce n’est pas militer. Ce n’est pas provoquer. Ce n’est pas exhiber. C’est exister. C’est être mère. C’est répondre, ici et maintenant, à un besoin fondamental.
Tant que des femmes devront se justifier pour cela, alors il est encore nécessaire d’en parler. Non pas pour diviser, mais pour ouvrir les yeux.
Parce qu’une société qui ne laisse pas une mère nourrir son enfant est une société qui a perdu le sens du réel.