Kiev, ville de contrastes, de mémoire et de mystère, cache sous ses pavés et ses façades un imaginaire collectif chargé de récits étranges, parfois terrifiants. Parmi ces histoires, l’une se transmet presque en silence, comme un avertissement que seuls les initiés comprennent : celle de la « beauté », une femme énigmatique qui apparaîtrait la nuit, dans les rues désertes de la capitale ukrainienne. Son apparition est toujours brève, mais laisse une empreinte profonde dans l’esprit de ceux qui l’ont vue. Et tous disent la même chose : la rencontrer n’est jamais bon signe.
Une silhouette élégante mais troublante
La « beauté » — c’est ainsi qu’on la surnomme — est décrite comme une femme grande, très mince, au visage pâle et figé. Ses cheveux sont longs, noirs, souvent détachés. Elle porte un long manteau — rouge selon certains, noir selon d’autres. Ce qui frappe le plus, c’est son immobilité presque inhumaine et la profondeur de son regard, qui semble transpercer ceux qui la croisent.

Elle n’interagit jamais. Elle n’appelle pas, ne parle pas. Elle regarde. Et parfois, elle disparaît soudainement, comme si elle n’avait jamais été là.
Où et quand la voit-on ?
Ses apparitions ont lieu exclusivement la nuit, entre minuit et quatre heures du matin. On la signale souvent près de lieux peu fréquentés : arrêts de tram délaissés, ruelles sombres, anciens bâtiments, zones industrielles désertes. Des quartiers comme Podil, Lysa Hora ou Dorohozhychi sont régulièrement cités dans les témoignages.
La lumière joue un rôle étrange dans ces rencontres : les réverbères vacillent ou s’éteignent, les ombres s’allongent de manière inhabituelle, et l’air devient soudain lourd, presque irrespirable. Certains affirment même que leur montre s’est arrêtée, ou que leur téléphone s’est éteint sans raison.
Une présence suivie de malheurs
La peur de la « beauté » ne vient pas seulement de son apparence. Ce qui inquiète le plus, ce sont les événements qui suivent sa rencontre. Plusieurs personnes affirment qu’après l’avoir vue, elles ont vécu des accidents, des maladies soudaines, des pertes d’emploi ou même des décès dans leur entourage. Les récits sont nombreux, et bien que non vérifiés, la répétition des motifs alimente la légende.
Un chauffeur de taxi raconte avoir pris une femme en manteau rouge un soir d’hiver. Elle lui a donné une adresse. Mais en arrivant, il s’est rendu compte qu’elle avait disparu. Trois jours plus tard, sa voiture a été cambriolée et il a perdu son emploi. Il ne croit pas aux fantômes, dit-il, mais il n’a plus jamais conduit la nuit.
Mythe collectif ou phénomène réel ?
Les psychologues expliquent ce type de légende comme une forme d’ancrage culturel, une manière pour une société de projeter ses peurs, ses traumatismes. Kiev, ville marquée par la guerre, les pertes humaines et les transformations brutales, pourrait ainsi créer une figure symbolique, incarnation de la douleur passée.
Mais pour d’autres, plus sensibles au paranormal, la « beauté » est bien plus qu’un symbole. Elle serait une entité réelle, née d’un événement tragique ou d’un esprit resté prisonnier de ce monde. Certains chercheurs en phénomènes inexpliqués parlent d’un « résidu énergétique » — une présence figée dans le temps, apparaissant toujours au même moment, dans les mêmes conditions.
Que faire si vous la croisez ?
Les rares personnes qui osent donner des conseils à ce sujet s’accordent sur quelques règles :
Ne l’approchez pas.
Ne tentez pas de lui parler.
Ne la fixez pas dans les yeux.
Et surtout : ne vous retournez pas après l’avoir dépassée.
On raconte que ceux qui ont enfreint ces règles ont vécu des épisodes de dépression, de paranoïa ou de malchance persistante. D’autres disent qu’il faut, en rentrant chez soi, allumer une bougie et ne parler à personne pendant trois heures pour éviter « de ramener quelque chose » avec soi.
Une légende vivante dans une ville qui n’oublie pas
Ce qui frappe dans cette histoire, ce n’est pas tant l’horreur que l’ambiguïté. La « beauté » ne tue pas. Elle ne menace pas. Elle est là. Présente. Silencieuse. Incompréhensible. Et c’est précisément ce silence qui dérange.
Kiev est une ville qui se souvient. Une ville qui porte dans ses pierres les échos des siècles, les cris étouffés de l’Histoire, les blessures jamais refermées. La « beauté » pourrait bien être l’un de ces échos. Une forme que prend le passé pour rappeler qu’il n’est jamais vraiment derrière nous.